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Cet article a été écrit par Ousmane Drabo, journaliste lauréat du Prix Lorenzo Natali pour les médias, avec le soutien de l'équipe éditoriale de Capacity4dev.

Cet article est également disponible en anglais.

Plus d'un an après son déclenchement, la pandémie de coronavirus continue de préoccuper la communauté internationale. Les journalistes et les médias ont été au cœur de cette pandémie pour informer leurs différents publics. Entre le risque d'exposition à la maladie et l'impossibilité de couverture médiatique sur le terrain, ainsi que les pressions psychologiques et économiques, les professionnels ont déployé des efforts d’imagination pour trouver des moyens ingénieux de faire leur travail. Ces expériences doivent être capitalisées pour le présent et l'avenir.

Au Burkina Faso et au Sénégal, les journalistes ont joué un rôle clé en informant les citoyens malgré les mesures restrictives et les dangers de la maladie. Alors que la pandémie continue à inquiéter avec ses différents nouveaux variants, le rôle des médias et des journalistes est plus que jamais essentiel pour continuer à informer, surtout en cette période de campagnes de vaccination COVID-19.

Les professionnels des médias partagent leurs expériences et les leçons à tirer pour couvrir de telles crises sanitaires à l'avenir.

Incontestablement, la crise du coronavirus a bouleversé les habitudes de production de contenus et les conditions de vie et de travail des journalistes. Les journalistes et autres professionnels des médias ont été soumis à de nombreuses pressions psychologiques, économiques et sanitaires, révèle une étude menée par le Centre international des journalistes et le Tow Center for Digital Journalism de l'université de Columbia. L'enquête, à laquelle ont participé 1 400 professionnels des médias de 125 pays, montre que 89 % d'entre eux ont déclaré que leur organisation médiatique avait pris au moins une mesure d'austérité à cause de COVID-19. Il s'agit notamment de licenciements, de réductions de salaire et de fermetures de médias. La pandémie n'a pas seulement eu un impact négatif sur les journalistes et leur travail, mais elle a contribué à repenser et à remodeler la façon dont les professionnels des médias travaillent.

Leçons apprises en termes de couverture médiatique pendant la crise sanitaire, notamment pour les journalistes en Afrique:

  • Adaptation. Des interviews réalisées, le mot adaptation revient le plus souvent. Les journalistes doivent apprendre à s'adapter en se dotant d'équipements adaptés aux situations où le contact est impossible, comme des micros-perches ou avoir des comptes/abonnements sur des plateformes de vidéo en ligne pour réaliser des interviews à distance.
  • Une expertise multidimensionnelle. Le journalisme comme profession transversale : L'histoire de COVID-19 a montré combien il est utile et nécessaire d'avoir des connaissances de base en santé et en virologie. En journalisme, il est essentiel d'être formé dans d'autres domaines (sciences physiques, sciences humaines et animales, sciences sociales, etc.) pour éviter de raconter des histoires dangereuses lorsque des situations d'urgence comme cette pandémie se produisent.
  • Capacité d'anticipation. Pendant l'épidémie de COVID-19, les fausses nouvelles et la désinformation1 se sont largement répandues. La plupart des crises surviennent par surprise pour les journalistes. En temps de crise, les informations (vraies ou fausses) vont et viennent dans tous les sens. Les journalistes interrogés pour cet article s'accordent à dire que tout professionnel des médias devrait intégrer la lutte contre les fakes-news dans ses compétences. C'est un moment crucial pour faire le tri entre le vrai et l’ivraie.

 

Au Burkina Faso, comme dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest, la COVID-19 a eu un impact important sur l'activité des médias, tant au niveau du contenu que de la production. Le Burkina a enregistré ses premiers cas de COVID-19 en mars 2020. Quelque peu pris au dépourvu, les médias locaux ont dû s'adapter pour continuer à informer le public pendant cette période cruciale.

Gaston Sawadogo travaille pour le journal d'investigation L'Evènement et occupe le poste de secrétaire de rédaction. Pour lui, ses habitudes ont subi quelques bouleversements à cause de cette pandémie. "Du côté négatif, la pandémie de COVID-19 a limité ma mobilité et donc le contact direct avec certaines sources et les réalités du terrain. Cela enlève une partie de la valeur ajoutée du travail journalistique. Il a également augmenté le coût des communications téléphoniques et de l'utilisation d'Internet, même si cela peut être compensé par la baisse du coût des déplacements", confie-t-il.

Mais pour le journaliste de l'Évènement, la COVID-19 n'a pas eu que des effets négatifs. Il ajoute: "Du côté positif, elle m'a poussé à développer d'autres méthodes de collecte de l'information, notamment le reportage à partir de sources ouvertes telles que les données en ligne et les ressources documentaires. Elle m'a également poussé à adopter le télétravail et à accroître mon intérêt pour l'utilisation d'outils collaboratifs."

En outre, sa rédaction a été fortement touchée par la pandémie et deux d'entre eux ont perdu leur emploi en raison de problèmes financiers.

Le journalisme en confinement ? Pas vraiment

Le cas de Gaston Sawadogo n'est pas isolé. D'autres types de médias (notamment audiovisuels) n'ont pas non plus échappé à l'impact de la COVID-19 sur le travail des journalistes. C'est le cas de Rose Jocelyne Ouédraogo. Journaliste et rédactrice, elle travaille pour "Jeunes Wakat", une émission de radio mise en place par le projet CFI's "Medias Sahel dans les trois pays du Sahel central (Burkina Faso, Mali et Niger).

"Sur le terrain, j'ai personnellement appliqué les mesures de barrière comme le port d'un cache-nez, l'application de gel hydroalcoolique lors du contact avec des objets, le respect de la distance sociale," rassure-t-elle. Même si les mesures restrictives édictées par les autorités locales n'ont pas empêché Rose Jocelyne Ouedraogo de faire son travail quotidien de journaliste, elle avoue que les personnes ressources ne sont pas toujours enclines à la rencontrer pour des interviews en personne.

"Il y a des moments où les personnes ressources, les personnes à interviewer, ne trouvaient pas de difficultés à me rencontrer pour des interviews. Cependant, l'une d'entre elles a refusé de me rencontrer physiquement, invoquant la crise sanitaire comme raison. J'ai tout de même mené l'entretien via WhatsApp. Il nous arrivait aussi de tenir des réunions et des conférences de rédaction par le même canal", a déclaré Rose Jocelyne Ouedraogo.

Même son de cloche chez Basseratou Kindo, blogueuse et fondatrice de Mousso News, un média en ligne spécialisé dans l'information sur les femmes. Elle avait une stagiaire qui travaillait pour elle lorsque les premiers cas de COVID-19 sont apparus au Burkina, mais elle a dû résilier son contrat pour parer à toute éventualité. Plus d’un an après, Basseratou Kindo affirme que le télétravail a marqué le secteur des médias et bien d'autres. Selon elle, "la chaîne de travail n'a pas été complètement interrompue. Cela montre la puissance du numérique, qui doit désormais être pris en compte dans les stratégies de communication et d'information."

S'adapter au contexte, se réinventer et repenser les outils de travail

Souleymane Koanda est journaliste-producteur au Studio Yafa, une radio de développement basée à Ouagadougou. Il y travaille depuis trois ans maintenant et essaie de s’y adapter aussi: "Notre rédaction était scindée en deux : une partie en télétravail, et une partie dans la salle de rédaction. Les conférences de rédaction étaient organisées à tour de rôle." Explique-t-il.

Sur le terrain, notre interlocuteur et ses collègues ont observé avec précaution les mesures de barrières : nettoyage régulier du micro, franchissement du micro avec des perches, etc....

Dans sa logique de réponse aux besoins de la population, le média pour lequel travaille Souleymane Koanda a établi un partenariat avec le HCR pour mener le programme "Parlons du Coronavirus" destiné aux personnes déplacées du Centre-Nord du Burkina Faso. L'objectif était de déconstruire toutes les fausses nouvelles sur la pandémie.

De son expérience, Souleymane Koanda retient surtout que les règles régissant le métier de journaliste ont été foulées aux pieds. Selon lui, le contenu en cette période de pandémie doit être axé sur les histoires humaines. "Ce type de contenu parle beaucoup aux personnes en état d'anxiété en ces temps incertains", explique-t-il. 

Dans tout projet de développement, comme c'est le cas pour le Studio Yafa de la Fondation Hirondelle, le flux d'informations doit être permanent, tant que les vies humaines existent.

"Comme le disait Alfred Sauvy, les Hommes bien informés sont des citoyens, mal informés, ils deviennent des sujets. Les responsables des projets de développement doivent et peuvent trouver des moyens de rendre compte même en temps de crise. Par exemple, il est possible de travailler avec des fixeurs de terrain ou des journalistes spécialisés dans les questions de crise. Pour cela, il faut proposer des formations spécialisées, une protection et des équipements de travail adéquats et, surtout, mettre le public cible au cœur de nos activités d'information et lui parler dans sa langue", ajoute-t-il.

Au Sénégal, Abdou Khadim Gueye est un journaliste indépendant qui a travaillé avec The Fact-Checkers, une association financée par le Grand-Duché de Luxembourg pour combattre les fake-news sur la pandémie. Pour lui, la grande leçon à retenir est que dans toute période de crise, les rédactions et tout professionnel de l'information et de la communication doivent intégrer la lutte contre les fake-news. "Cela y va de la crédibilité et de l'avenir de nos professions", conseille-t-il. Cette période de la pandémie a appris à certains des journalistes interrogés la nécessité de faire attention à ce qu'ils disent. Danielle Coulibaly, également journaliste au Studio Yafa, a retenu cette leçon. "En période de crise sanitaire, le traitement de l'information devient délicat, car il faut savoir choisir les mots, les utiliser, quels genres journalistiques utiliser, et tout cela se prépare" dit-elle.

Étant moi-même journaliste et ancien lauréat du Prix Lorenzo Natali pour les médias (2017), un prestigieux Prix de la Commission européenne pour journalistes, et consultant en médias et en information publique pour des organisations internationales, j'ai parfois été confronté aux dures conditions difficiles de travail avec les médias au plus fort de la pandémie (entre mars et juillet 2020).  À l'époque, j'étais chargé de l'information publique au Centre d'Information des Nations unies à Dakar. Ma mission consistait à couvrir les grandes actions de l'ONU pour les plateformes d'information publique de l'ONU (Radio ONU, UN News...) mais aussi à gérer les relations avec les médias. Au CINU, nous avons rendu compte des grandes initiatives (jeunes inventeurs de machines à laver les mains, entrepreneurs locaux produisant du gel, etc.) qui ont vu le jour en pleine pandémie, une sorte de journalisme de solution. Nous avons également travaillé avec les journalistes de la région sur la campagne contre l’infodémie qui consistait à déconstruire les fausses nouvelles sur la pandémie et les vaccins à travers des chroniques radio, des visuels, etc.

Ce que je retiens de cette expérience, c'est que la COVID-19 nous a démontré l'importance des relations avec les médias pour démultiplier les efforts de lutte contre la crise. Face au manque de moyens financiers des journalistes et à la faible structuration des rédactions (pas assez de journalistes spécialisés et un manque de formation adéquate), ajoutés à leurs difficultés techniques, je pense aussi que ces professionnels de médias ont besoin d'être soutenus (financièrement et techniquement) pour pouvoir remplir correctement leurs missions de service public dans des moments aussi critiques que celui du COVID-19.

Chacune des personnes interrogées admet que l'accès aux sources d'information était devenu encore plus difficile qu'avant la pandémie. Au nom de la production de contenu inhérente au métier de l'information et du droit du citoyen à l'information, les journalistes font de leur mieux pour assurer leur mission. En tout état de cause, nous devons tous apprendre à vivre avec la pandémie. Apprendre à vivre avec la pandémie, c'est aussi apprendre à réinventer les métiers du journalisme et de l'information publique.

La pandémie nous enseigne qu'il existe des moyens de poursuivre correctement son travail, à condition de profiter des ressources numériques (dispositif de médiatisation en ligne) et des moyens de surmonter son équipement de travail (caméra, micro...). Avec la pandémie, la lutte contre la désinformation ou la promotion du journalisme de solution est devenue plus que jamais importante dans la sphère de l’information. Elle offre également de nouvelles perspectives aux professionnels des médias en ces temps difficiles.

Cliquez sur le bouton de lecture ci-dessous pour visionner notre vidéo sur le rôle du journalisme au Burkina Faso et au Sénégal pendant le COVID-19.

Projets en cours financés par l'UE sur le soutien aux médias pendant la COVID-19 en Afrique

L'UE s'emploie à garantir l’indépendance et la fiabilité des médias et mobilise plus de 20 millions d'euros de projets de financement pour soutenir les professionnels du secteur et les organes de presse en Afrique. Des mesures d'urgence spécifiques ont été mises en place pour soutenir les médias touchés par la COVID-19. A l'occasion de la Journée de la liberté de la presse 2021, certaines de ces initiatives ont été présentées lors de la Conférence de presse mondiale. La commissaire européenne aux Partenariats Internationaux, Jutta Urpilainen, a prononcé le discours d'ouverture de l'événement.

Sélection de projets financés par l’UE :

  • Réponse au COVID-19 en Afrique : Ensemble pour une information fiable dans 17 pays d'Afrique subsaharienne (projet global)
  • Permettre des réponses efficaces et sensibles aux conflits liés à la COVID-19 pour protéger la cohésion sociale dans les contextes fragiles en Afrique (Délégation de l'UE au Kenya)
  • Projet d’appui à la gestion des rumeurs, diffusion d’informations fiables et au renforcement de la cohésion sociale en Guinée dans le contexte de la réponse au COVID-19 (EU Délégation au Guinée)
  • COVID-19 Réponse Rapide Région des Grands Lacs (EU Délégation en République Démocratique du Congo)
  • Lutte contre la désinformation liée à la crise de la COVID-19 dans 6 pays africains (EU Délégation au Sénégal)

Autres épisodes de la série les voix du terrain (en anglais):

Crédit: Vidéo: © Capacity4dev | Photo: © Ousmane Drabo

1 Bonnes pratiques et conseils pour couvrir la pandémie et les opérations de vaccination en cours.

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