La demande croissante pour des produits haut de gamme issus des forêts gabonaises pourrait être la clé d'un avenir durable et prospère
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L’Afrique perd chaque année près de quatre millions d'hectares de forêts, ce qui en fait la région la plus touchée et la plus menacée par la déforestation et la dégradation forestière, selon un rapport récent sur Les implications du règlement européen sur la déforestation pour l’Afrique subsaharienne. Mais alors que certains pays africains n’affichent qu’un soutien timide à la lutte contre la déforestation et la promotion d’une gestion durable des forêts, le Gabon confirme sa place de modèle de gestion forestière durable . L’idée est de diversifier progressivement le secteur forêt-bois, en ne se limitant pas à l’exploitation forestière traditionnelle et à la production de bois mais en visant également sur les « produits forestiers non ligneux » (PFNL).
La diversification économique du secteur forêt passe aussi, par ailleurs, par la valorisation du carbone et de la biodiversité. « Bien que le Gabon soit un pays relativement petit, sa richesse botanique est exceptionnellement élevée et ses forêts pluviales sont réputées les plus riches de toute l'Afrique. En effet, on estime que le nombre total d’espèces végétales des différents écosystèmes du Gabon à 8000, dont environ 5300 espèces sont connues. » spécifie Nestor L. Engone Obiang, Directeur adjoint IPHAMETRA, l’Institut de Pharmacopée et médicine traditionnelle gabonaise dans son article sur l’Importance des outils de connaissance de la biodiversité gabonaise.
« Ces produits - résines, fruits, feuilles, écorces, huiles essentielles – sont issus d’arbres vivants ou déjà abattus et peuvent être récoltés de manière durable, » explique le professeur Christian Mikolo Yobo, président du Comité scientifique pour l’examen des demandes d’autorisations de recherche au Centre national de la recherche scientifique et technologique (Cenarest). « Un seul moabi, par exemple, peut produire de l'huile pendant plusieurs décennies, assurant ainsi un revenu continu aux populations locales et aux différents acteurs engagés tout le long de la chaîne de valeur, jusqu’à l’exportation. »
« La hausse constante de la demande mondiale pour des produits naturels, des produits de beauté et des produits alimentaires de haute qualité participe également au renforcement de la valeur commerciale des PFNL» poursuit-il, ajoutant que cette dynamique « crée un intérêt économique direct à maintenir les arbres debout, car elle allie rentabilité et durabilité».
Des produits traditionnels très prisés à notre époque
Appréciés depuis des millénaires par les communautés forestières du Gabon, les produits provenant d’arbustes tels que l’iboga (Tabernanthe iboga), ou arbres comme le moabi (Baillonella toxisperma) et l’okoumé (Aucoumea klaineana) sont de plus en plus recherchés par les consommateurs nationaux mais aussi régionaux et internationaux. L’iboga - une plante psychotrope, utilisée au Gabon depuis des milliers d'années pour évoquer les ancêtres et les esprits, est très prisée aujourd’hui pour ses propriétés dans le traitement des addictions et peut se vendre à 3 500 euros le kilo sur Internet. Le gouvernement gabonais des dernières années a d’ailleurs de plus en plus encadré son utilisation, notamment avec l'application du Protocole de Nagoya.
Les entrepreneurs locaux n’ont pas tardé à y voir une réelle opportunité. Priscilla Omouendze Mouaragadja est Directrice de la recherche à l'École Nationale des Eaux et Forêts (ENEF) du Gabon. Elle a aussi fondé N'kira Cosmetics, une entreprise qui produit et vend des huiles essentielles d'okoumé, d’aiélé (Canarium schweinfurthii) et d'autres essences forestières.
« Les communautés forestières dépendent de la forêt pour la nourriture et la santé, et leurs croyances et leurs cultures y sont étroitement liées, » explique-t-elle. « Si elles peuvent conserver le contrôle de leurs propres forêts, ces communautés peuvent décider ensemble de ce qui peut être vendu, de qui gère les revenus et de leur mode de redistribution. Des entreprises comme la nôtre créent de la richesse, des emplois et des compétences durables au niveau local. »
Dr Raïssa Mouketa, fondatrice et CEO de Tropicalthèque, une deeptech franco-gabonaise qui développe des actifs dermocosmétiques inclusifs à partir d’espèces exclusives des forêts tropicales apporte une expérience dans la même direction. « Nous travaillons uniquement avec des PFNL récoltés en milieu naturel au Gabon. J'ai lancé Catapla Correct™️ au salon In-cosmetics à Amsterdam, notre premier actif breveté, testé sur tous les phototypes, conçu pour restaurer et apaiser les peaux à tendance acnéique. Il a été cliniquement prouvé qu’il réduit les imperfections de 25,7 % en 28 jours, des résultats significativement supérieurs au placebo. »
Réduire les risques liés aux chaînes d'approvisionnement forestières
Cependant, les PFNL ne représentent actuellement qu'une faible partie de l'économie (formelle) gabonaise et le bois d’œuvre est toujours la deuxième source de revenus d'exportation du pays, avec environ 16 000 emplois directs et indirects (et 60% du PIB national hors pétrole).
Conscient de l’importance de la gestion durable des forêts, le gouvernement gabonais l'année dernière a signé un protocole d'accord (MoU) de Partenariat Forêt avec l'UE, destiné à soutenir les ambitions écologiques du pays. Élaborée conjointement par l'UE, le ministère des Eaux et Forêts, le secteur privé, les communautés forestières et des organisations de la société civile, la feuille de route du Partenariat Forêt vise à améliorer la gouvernance et la gestion durable des forêts. Elle contribuera à une nouvelle législation sur l'eau et les forêts, au déploiement du système national de traçabilité des bois du Gabon, au soutien à la certification, et stimulera la valorisation de produits forestiers ligneux et non ligneux durables ‘made in Gabon’, ainsi que des nouveaux types de services liés au carbone et à la biodiversité. L'écotourisme, la conservation de la biodiversité et la lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages figureront également parmi les priorités. D’ailleurs, déjà en 2024 le général de Brigade Maurice Ntossui Allogo, ministre des Eaux et Forêts gabonais avait lancé la première édition des Journées des industries du bois, placées sous le thème « Une industrie forestière au cœur du développement du Gabon ».
« Comme le souligne un article récent du Forum économique mondial, « la gestion responsable des forêts du Gabon est un exemple extrêmement inspirant... Selon le gouvernement gabonais, la certification pourrait également contribuer à générer des exportations forestières à plus forte valeur ajoutée. Le Gabon est un leader mondial du bois tropical certifié et le prochain objectif est le 100% de bois certifié. Il s’agit là d’un objectif extrêmement ambitieux qui mérite les encouragements et les investissements des entreprises européennes.
« Les perspectives sont largement positives pour les forêts tropicales gabonaises, » explique Charles Bracke, un consultant auprès de l'UE qui participe à l'élaboration de la feuille de route du Partenariat Forêts du Gabon. « La priorité est de réduire les risques liés aux investissements nouveaux ou existants afin d'attirer les entreprises de l'UE. Actuellement les risques sont encore trop élevés actuellement, ce qui décourage les investisseurs. »
Les risques financiers ne sont pas la seule incertitude : le règlement de l'UE sur les produits sans déforestation (RDUE-EUDR), qui vise à lutter contre le commerce mondial croissant de produits du bois et de produits forestiers non durables, entrera en vigueur dans les prochains mois et demandera de l’adaptation, même si pour le Gabon le risque attribué dans la classification EUDR est classé « faible ».
Les PFNL : des bénéfices au niveau local et un potentiel mondial
Malgré ces défis, le professeur Yobo reste optimiste. « Bien que les PFNL ne puissent pas remplacer, à court terme, les produits ligneux (bois d’œuvre) en termes de volume exporté ou de valeur brute totale, ils présentent un potentiel économique remarquable. La survie à long terme des forêts gabonaises dépend avant tout de la capacité à créer des opportunités économiques concrètes et durables pour les communautés qui y vivent et qui dépendent de ces forêts.
« L'avenir des forêts est intimement lié à celui des populations locales, qui sont les gardiennes des savoirs locaux », ajoute-t-il. « Il faut les inclure dans les chaînes de valeur, assurer une redistribution juste et équitable des revenus tout le long de la chaîne de valeur et faciliter l'accès aux marchés, à la formation et au soutien actif à l'entrepreneuriat rural, en étant particulièrement attentif aux jeunes entrepreneurs et aux entrepreneuses. ».
Des impressions que partage Priscilla Omouendze Mouaragadja de N'kira Cosmetics.
« Les entreprises, qui, comme la nôtre, transforment localement les produits forestiers non ligneux créent de la richesse au niveau local ainsi que des emplois et développent les compétences locales. Nous suscitons des vocations et un réel intérêt pour la biodiversité. Au Gabon, le taux de chômage des jeunes est très élevé et l'inadéquation entre la formation et l'emploi est souvent épinglée. Notre petite structure a déjà accueilli plusieurs étudiants en stage et a contribué à des projets scientifiques, aussi bien dans le domaine écologique que médical et cosmétique. Je suis convaincue qu’il faut sensibiliser les populations à l’importance de ces ressources naturelles et à leur potentiel économique pour les inciter à mieux les protéger. »
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