Évaluation finale du Projet de modernisation et d'extension de la protection civile en Cote d'Ivoire - Rapport final (06 2022)
De 2016 à 2020, l’Union européenne (UE) a financé un projet de modernisation et d'extension de la protection civile en Côte d'Ivoire. Le but du projet était de renforcer la capacité des structures de la protection civile à prendre en charge la protection des personnes, des biens et de l’environnement et d’autre part de faciliter l’absorption pérenne de 1500 ex-combattants. Les objectifs spécifiques du projet étaient d’opérationnaliser 10 centres de secours d’urgence (CSU) repartis sur le territoire de la Cote d’Ivoire, de former 1200 agents, de renforcer la capacité de coordination de l’Office National de la Protection Civile (ONPC) et d’en renforcer la gestion administrative. Le projet avait un budget de 9.7 millions d’euros qui ont été financés par le Fond Européen de Développement et mis en oeuvre par Expertise France et Civipol.
Ce rapport est le rapport d’évaluation finale du projet, menée par deux évaluateurs indépendants entre mars et juin 2022 (annexes 1 et 9). Cette évaluation a inclus une phase d’analyse de documents, une série d’entretiens avec les parties prenantes et une visite de 21 jours en Côte d’Ivoire. Lors de cette visite, 9 CSU ont été visités par les évaluateurs, des entretiens ont été organisés avec les autorités centrales et locales et des groupes de discussion ont été organisés avec les agents des CSU (voir agenda en annexe).
Conclusions
Les évaluateurs considèrent que le projet a renforcé de manière considérable la capacité de l’Etat ivoirien à fournir une protection civile de qualité à sa population.
Le projet a réussi à renforcer l’opérationnalisation des 10 CSU grâce aux formations et à l’équipement qu’il a apportés. Les visites de terrain ont permis de vérifier que la majeure partie des infrastructures et des équipements sont toujours en place et opérationnels deux ans après la fin du projet. Les engins fournis par le projet (7 engins pour chacun des 10 CSU soit 70 au total) sont pour la grande majorité (90%) toujours opérationnels. Cependant, certains engins sont utilisés à contre-emploi, ce qui pourrait entraîner un risque d’usure prématurée. Les autres équipements fournis par le projet sont toujours en place également, cependant leur état d’usure est souvent très avancé. D’une manière générale, le budget maintenance n’est pas suffisant pour limiter le processus d’usure.
En ce qui concerne le personnel, les visites de terrain ont montré que les 10 CSU appuyés par le projet bénéficient d’un effectif adéquat. La qualité des formations réalisées par le projet apparaît très élevée ainsi que le matériel didactique. Dans l’ensemble, les acquis sont maintenus à un niveau acceptable mais deux ans après la formation, les évaluateurs constatent une érosion de ces savoir-faire.
En ce qui concerne la variation du nombre d’interventions, l’impact du projet a été positif puisque le nombre d’interventions des 10 CSU appuyés par le projet est passé de 2500 à 5500 entre 2017 et 2021 (soit une croissance de 120%). Cette forte progression est le résultat direct de l’appui apporté par le projet : les statistiques montrent que l’équipement fourni par le projet a permis d’augmenter la capacité d’intervention des CSU bénéficiaires comparée à celles des CSU qui n’ont pas bénéficié d’appui extérieur.
Le projet a également permis de renforcer la capacité de coordination du Centre Opérationnel national d’incendie et de secours (CONIS) de l’ONPC. Le projet a élaboré les procédures de fonctionnement, formé les agents et a financé des équipements. Les évaluateurs ont constaté que cet équipement est toujours en place et que le centre est opérationnel.
En ce qui concerne le renforcement de la capacité de gestion de l’ONPC, les résultats sont également positifs mais dans une moindre mesure. Le projet s’est heurté à un manque d’implication de l’ONPC au moment de la mise en oeuvre du projet, et en conséquence, l’augmentation de la capacité de gestion des ressources humaine et financière était très limitée. Cependant la situation semble s’être améliorée depuis mars 2020 avec l’arrivée d’un nouveau Directeur General. Depuis cette date, des mesures ont été prises pour adopter certaines des recommandations du projet en matière de gestion des ressources humaines. De nouvelles procédures sont en place et plusieurs cadres ont été engagés.
En termes d’impact, il apparait que le projet a réussi renforcer le sentiment de sécurité de la population dans les zones couvertes par les CSU. Sur base des témoignages des autorités locales, la perception des pompiers par la population bénéficiaire est très positive.
L’intégration des agents issus du processus DDR semble effective puisque la grande majorité est encore en poste en mars 2022. Lors des entretiens tous les agents issus du processus DDR indiquent que le métier de pompier les a durablement éloignés de la lutte armée. La réussite de cette réintégration semble être due à trois facteurs qui sont caractéristiques de la protection civile : un vif sentiment d’estime personnelle, une reconnaissance de la population et une situation contractuelle stable. Cependant ce résultat positif est mis en péril par les conditions de vie difficiles dans les CSU et par le statut inadapté des sapeurs-pompiers.
Le projet a également eu un impact positif en ce qui concerne l’égalité homme-femme. Tous les CSU ont des effectifs masculins et féminins. Les femmes sont en minorité mais elles occupent des fonctions similaires à celles des hommes. Quatre CSU sont dirigés par des femmes. Toutes les personnes interviewées indiquent que l’intégration des femmes dans les CSU et leur forte visibilité contribue à changer les normes sociales et à encourager une relation homme-femmes plus égalitaire en Côte d’Ivoire.
Le projet a été très efficient malgré ce qui peut être relevé comme un manque d’implication de l’ONPC entre 2017 et 2020. Comparé à un projet similaire, il apparait que projet a réalisé plus d’activités et obtenus plus de résultats dans une période plus brève avec un budget comparable. Le projet a réussi à identifier et fournir un équipement adapté aux conditions locales. Les formations ont toutes été réalisées par des experts sapeurs-pompiers expérimentés. De plus, des économies substantielles ont pu être obtenues car beaucoup de ces formations ont été dispensées par du personnel mis gracieusement à disposition par la France.
Un des aspects novateurs du projet est précisément la gestion conjointe du projet impliquant plusieurs entités partageant un objectif commun. La Délégation de l’UE, les gestionnaires du projet, le coopérant Français et l’Ambassade de France ont travaillé en étroite coopération en créant des synergies et des dialogues conjoints. Cette coopération qui partage des similarités avec l’approche Team Europe promue par l’UE, a permis de mutualiser les ressources et les expertises, elle a prouvé ses vertus en termes de réduction des retards potentiels et d’amélioration de la qualité des produits.
Recommandations
Les évaluateurs proposent une vingtaine de recommandations spécifiques. La recommandation principale est de continuer à appuyer le développement de la protection civile en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région. La protection civile est en effet un des rares secteurs d’intervention qui permet à la fois de renforcer la présence de l’Etat tout en générant rapidement un bénéfice tangible pour la population. Une assistance dans le domaine de la protection civile pourrait être le vecteur d’autre initiatives visant à renforcer la cohésion sociale et la stabilité.
En ce qui concerne plus spécifiquement la Côte d’Ivoire, un développement des services de protection civile dans le nord du pays devrait être envisagé en priorité.
Il est également urgent que les autorités prennent des dispositions pour attribuer un statut aux pompiers civil afin de prendre plus en compte la pénibilité et la spécificité de leur travail. Les conditions de vie devraient être améliorées rapidement dans certains CSU afin de réduire le sentiment de frustration des agents, sentiment qui, s’il n’est pris en compte rapidement pourrait mettre en péril les acquis du projet.
Des recommandations sont également proposées en relation avec la maintenance des infrastructures et des équipements. En ce qui concerne la formation, la priorité devrait être la mise en place de formations continues ainsi que la formation de nouveaux agents à travers des structures pérennes. Les évaluateurs recommandent également de mettre en place un réseau de pompiers volontaires. D’autres recommandations sont formulées en ce qui concerne l’importance de la visibilité européenne et le bénéfice d’associer la protection civile à des initiatives communautaires.